Points de vue

"Point de vue imposé"

Anne :

Réfractions

Je suis de ceux qui, assis au bord de la Seine

Se demandent pourquoi les cygnes dérivent benoitement

Sur des reflets de phares dorés.

Des cygneaux gris d’eau sale

Peinent à esquiver une vieille grille noire,

Qui peu à peu s’enfonce disparaît dans le reflet du ciel.

Les clapotis qui viennent mourir contre sa rouille

Martyr des berges souillées et inondées

Agrès des oiseaux aux plumes humides.

Protection dérisoire, vestige des temps où les parcs

Ne servaient pas plus qu’à présent.

Noémie :

A l'ombre des barreaux - série de haïkus

 

Une grille plantée –
Le long du torrent grisé.
Errance d’un soir.

 

Dans le ciel pastel
Ondulent des nuées de mouettes
Doux charivari.

 

Un ballet de cygnes
Dessine la nouvelle Lune -
Envol du signe de jais.

 

Mathis :

 

Les passagers

 

La vague caresse le bitume comme un léger glaçage

Pour la cité engloutie ils cherchent le passage

A contre vent, sur le Styx, les goélands urbains volent bas

Happés par les abysses mais ils ne s’affolent pas

Ils sont cinq fantastiques, orgueilleux, affamés

Leur patrouille plumée va et vient à l’humeur des passagers

Les os craquants du portail s’ouvrent à marée basse

Mais ses gardiens silencieux attendront le mot de passe

 

Comment entrer ?

Anaïs:

A mes pieds je vois une flaque où flottent deux brindilles (Timothée)

Transie de froid j’observe que la grille est (Sofia)

Rouillée. (Tous)

A l’arrière-plan la ville et le (Simon)

Vrombissement des autos ne s’ (Noémie)

Entendent presque plus de là où je suis. (Anaïs)

Roucoulement d’un pigeon qui (Luna)

Se pose devant ma grille: le gris de ses plumes contraste avec la couleur de ses barreaux. (Timothée)

C’est un concert muet que donne la nature (Sofia)

Et j’écoute le clapotis de l’eau répondre aux injonctions des cols verts. (Simon)

Tout semble si étrange que je décris au ralenti : (Noémie)

Tout à coup trois passants, un homme au chapeau hurlant après son chien, un joggeur jaune fluo, (Anaïs)

Et une femme à lunettes, surgissent de nul de nulle part et (Luna)

Gâchent ce silence. (Tous)

Reviens ici tout de suite ! hurle l’homme à la manche décousu (Timothée)

Il se gratte le menton et (Sofia)

Lorgne notre petit groupe (Simon)

Le paysage s’estompe et la grille semble s’éloigner (Noémie)

Et voilà que cet homme devient notre premier plan. (Tous)

Timothée:

Sur la berge en hiver

Le passage furtif d’un pigeon

Incertain de sa direction

Fend le ciel blanc gris

Et le cours monotone de la Seine

Les grilles et les branches nues

Maillent ce paysage glacial

Tandis que seul un tag colore ce grisâtre univers

Quelques curieux, s’arrêtent et observent

Puis ils repartent, comme ils sont venus

Que pouvaient-ils voir derrière cette grisaille ? (Sofia)

Moi j’ai vu des rebelles

Le frou-frou moelleux des plumes d’un cygne

Trois vaillantes pierres érigées hors des flots

Et celle qui résistait, la dernière feuille morte ? (Sofia) — suspendue à la cime de l’arbre.

Louis

Les longs cygnes placides et hautains

Toisent plaisamment le court cocker Bill,

Sous l’œil aiguisé des pigeons lointains

Dominant les airs de leur vol facile

Les arbres voudraient pouvoir se mirer

Par-delà la morne grille flottante

Mais l’onde marron rompt leur vanité

En un terne vert humide, l’impotente.

Les autos sans fin tissent la rumeur,

Animent le gris-crème du béton

Et semblent distiller dans la hauteur

La fumée blême des tags de matons.

Johana

Dean Goun

Un homme, une femme,

Qu’importe.

Dean Goun fait des dessins,

Le long de l’autoroute,

A1.

Son histoire et la tienne,

Se ressemblent.

Un jour, l’interpellai-je pour lui demander,

Son âge,

21.

Le soir, fin de service,

Retournant veste et chemise,

Laçant presque ses souliers,

1 à 1;

Il disparaît.

On le sait errer au bord de la Seine,

Sur la rive, loin des immeubles,

Bavardant avec une famille de canards,

Bruns.

Qui patine les flots inertes,

De berges en berges vaquent,

De beaux cygnes barboteurs,

Rien,

De ses choses ne l’égayent plus,

Que le bruit du vent et du cirrus,

Et dans l’eau dense ou se mêlent,

Du sang, des larmes, la pluie,

Dean Goun s’émerveille,

De voir danser Paris.

Elliot

Ce paysage en peinture

c’est la Nature en hiver

La Nature en littérature

La Nature tel un sein nu

En mémoire à Chamfort pleurant ce qui n’est plus

Ici sur le chant fort de la Mort résolue

La Nuit fleurait un feuillage au goût outrancier

Les Fleurs du Maldoror sur cet amour vicié

Seyaient en mal d’aurore et la Nuit dissolue

Réveillait des instincts putassiers révolus

Tempête dionysiaque et de sanglots sonores

Tel un chant élégiaque où le Néant s’honore

Froissait la Nature et la peine prévalue

Ce paysage en peinture

c’est la Nature en hiver

La Nature en littérature

La Nature tel un sein nu

Telle une Muse

Dont on s’amuse

Mais que l’on pleure en écriture

Sofia:

Voici le chemin interdit,

Impasse bannie où

Les six cygnes de Grimm et la mouette de Tchekhov

Raillent et se chamaillent au bord de l’étang.

Entre nature trépassée et cité animée

Voici le chemin interdit,

Cul-de-sac réservé aux chemises et aux cendres

Des six cygnes de Grimm et de la mouette de Tchekhov.

Attendant la délivrance,

Entre nature trépassée et cité animée

Je retrouve liberté et danger,

Et ce cul-de-sac réservé aux chemises et aux cendres.

J’aime cette rivière – comme Nina, comme la mouette.

Attendant la délivrance,

Je suis heureuse et exemptée,

Je retrouve liberté et danger.

(PDV libre: haïkus)

La ruche de l’île

Accueil des quatre saisons,

Un quadrant chacune.

La végétation

Marque le calendrier

Et le temps vicieux.

L’hiver, l’ivoire

Le printemps, la reprise

L’été, l’aride.

Cercle éternel

Endort et dévêt l’automne

La Renaissance.

Simon :

Géométrie invariable

Une sempiternelle valse défiant Hérode

Que ne recueille pas, piteux, le tragique mage,

Commis au maillage de ce givre rompant l’adage

D’un vernis sans âge où la pyrite s’érode.

Sur la dépouille de cette grille brûlée par l’exode

Plusieurs fois éprouvée, mais jamais un hommage

Le promeneur gît seul dans un puit sans courage

Puisse la mort, d’un souffle, lui fournir une pagode.

C’est ainsi, on n’y fera rien, quant à cette ode :

La lyre liera l’ire de l’irritante reliure

Qui bute et emboîte ce paysage de saumure.

C’est ainsi, on n’y fera rien, quant à cette mode :

Malheur à celui qui d’une chimère impure

Grime candeur et espoirs en sinistre imposture.

"Point de vue libre"

SIMON:

Variations chromiques 1

La musique sublime le vol lourd de la bruine

Qui perce les pores de ma peau et s’écoule

Le long de la rive.

Orchestrale, symphonique, triomphale,

Elle s’essouffle en soupirs qui bruissent les blés

Au gré de leurs silences.

Sensation fugace, transitoire, enivrante.

A bout de souffle, délirant… je divague

Le charmant élixir !

Tantôt indigo, or, azur, lavande, ambre,

Tirant le plus souvent sur un jaune flambant

Quelle vaine recherche.

Celui qui se risque dans la prose écarlate

Irradie le fleuve bleu de l’alexandrin

Et pousse les dizains

Hors de leur tanière rouge carmin.

Mathis:

Nage nage nage,

Toi qui me disais que tu aimais l’eau froide

Pleure pleure pleure,

La pluie te trempera moins que tes larmes

Sages sages sages,

Les cygnes t’observent, ton spectacle les fascine

Meurs meurs meurs,

Ma sirène, je ne t’aimerai qu’une fois dans les abymes

Elliot

Dans ce brouillard épais,

Oxyde de carbone,

Leur mine est déconfite.

Le long du parapet,

Sur c’pont que l’on charbonne,

Des punks sagouins graffitent.

Les pieds dans l’caniveau,

Les yeux r’gardant le ciel

Et la bonbonne en main

Ils marquent leur futur :

Un nouvel arc-en-ciel

De noir et de fusain.

Louis

Ronflement croissant d’un bateau léger,

Mangeoires transparentes et longilignes,

La présence de promeneurs sur l’allée,

Choyés parterres qu’un entretien signe,

Une abondante rotonde de buis,

Devant l’armée de lancettes de bois,

Marchant sur le gazon un corbeau suit,

La piste de son repas en émoi.

Le dru tapis de feuilles en agonie,

Anciennement panaches aériens,

Ondoie frémissant sur le sol transi

Sous un ciel gris réchauffé par un rien :

Les généreuses couleurs d’ici-bas

Qui bravent le froid anesthésiant

Et les coups de klaxon à la Cuba,

Pour tonner un éclair amnésiant.

Timothée

Sur un pont qui domine la berge, en hiver

La fumée blanche là bas, le bruit des moteurs

Gronde au dessus de la Seine

Le pont vibre au passage du bus

Et tout échappe à la force du courant

Au profit des barres d’immeuble

qui laissent les barques immobiles, abandonnées à la berge

Le froid qui engourdit le fleuve réveille les turbines

Et n’interrompt ni les feux rouges, ni les usines

Les hommes survivent lorsque la nature meurt

Noémie - Point de vue libre

Pont de Levallois

Anne

 

Amarres 

 

Au bout de la Seine

Entre un mât noué aux couleurs nationales

Et d’anciennes amarres rouillées, enfoncées

Dans des pierres de taille

Sur un quai

Deux jeunes gens miment un duel à l’épée.

Une jeune femme qui les regarde

 Par-delà ses brumes éthyliques

Attrape à peine

Le goulot qu’elle coince entre son rire.

La lumière mûre est abyssale.

Le vent emporte le regard vers un pont ferré

Les colonnes de fumée

Semblent d’informes clés de voûte. 

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